Adam de la Halle, un des derniers trouvères français qui a pu s'initier à Paris à la polyphonie des maîtres de l'École de Notre-Dame, bénéficie d'un talent créateur hors du commun. On lui connaît une soixantaine de compositions musicales consistant en chansons, rondeaux, motets, jeux-partis — débats entre deux chanteurs sur un sujet donné — ainsi que deux œuvres théâtrales ...
Texte complet »Adam de la Halle, un des derniers trouvères français qui a pu s'initier à Paris à la polyphonie des maîtres de l'École de Notre-Dame, bénéficie d'un talent créateur hors du commun. On lui connaît une soixantaine de compositions musicales consistant en chansons, rondeaux, motets, jeux-partis — débats entre deux chanteurs sur un sujet donné — ainsi que deux œuvres théâtrales dont le Jeu de Robin et Marion.
Sans rompre avec la tradition, il a su la rajeunir en conciliant dans plusieurs œuvres la poésie lyrique, dont la forme musicale est assujettie au texte, et la science de l'Église, qu'il est un des premiers à adapter à l'art vocal profane.
Considéré comme l'œuvre maîtresse d'Adam de la Halle et comme le premier témoignage de théâtre musical européen, le Jeu de Robin et Marion est créé à la cour de Naples vers 1285.
Il nous présente une Marion au corps gent, humble bergère de son état, quoique assez finaude, et ses rustres compères dont Robin et Gautier. Aubert, un chevalier en mal de séduction et fier du prestige que lui confère sa condition sociale, fait ici contraste avec les sentiments discrets et refrénés des chantres de l'amour courtois.
La pièce est une adaptation théâtrale d'un genre lyrique alors très populaire, la pastourelle. Elle met en scène des personnages calqués sur la réalité et sur des situations vécues au quotidien, comme celle des paysans et des bergères sans défense, subissant les abus des soldats et des nobles. En opposant les discours pompeux et démodés du chevalier à la prose naïve et colorée des paysans, Adam de la Halle exploite avec humour ce sujet pourtant cruel : il n'en fallait pas plus pour en assurer le succès.
Le Chant de Robin et Marion a pour point de départ l'œuvre d'Adam de la Halle. Entre la quinzaine d'airs monodiques du Jeu de Robin et Marion, l'Ensemble Anonymus a intercalé des motets à trois voix, c'est-à-dire des compositions savantes issues de l'organum de l'Ars antiqua, superposant plusieurs mélodies sacrées et profanes et surtout des paroles, voire des langues (français-latin) différentes.
Les œuvres retenues par Anonymus proviennent pour la plupart du manuscrit dit de Montpellier, un recueil collectif comprenant plus de trois cents compositions polyphoniques françaises composées entre 1270 et le début de l'Ars nova (XIVe siècle). Plusieurs des motets de cet important Codex utilisent des thèmes ou des textes empruntés au Jeu de Robin et Marion, confirmant l'immense popularité de cette œuvre.
Des compositions anonymes isolées ou empruntées au manuscrit de Bamberg ainsi qu'un extrait du satirique Roman de Fauvel complètent cette exploration d'une époque musicale en pleine mutation, et, pour rendre hommage aux ménestrels improvisateurs de cette époque, quelques épisodes instrumentaux de Claude Bernatchez se fondent avec grâce à l'ensemble.
André Caron et Irène Brisson, 2004